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Polymédication chez les personnes âgées : entre nécessité thérapeutique et risques évitables

L'amélioration constante des progrès médicaux et des conditions de vie mènent à une augmentation de l'espérance de vie et le nombre de personnes âgées ne cesse de croître dans nos sociétés. Ce contexte démographique a conduit à une utilisation accrue de médicaments et à une plus grande fréquence de la polymédication. Ces situations sont fréquentes chez les personnes âgées qui présentent la prévalence la plus élevée de maladies chroniques et sont le plus souvent polypathologiques.

La polymédication est aussi liée au nombre de prescripteurs et aux prescriptions en cascade (prescription dun médicament pour traiter leffet secondaire du précédent).

Infirmière noire et patient âgée noir de la Bulle pharma

L'augmentation des médicaments prescrits est liée à celle des prescriptions potentiellement inappropriées et à la consommation inutile de médicaments, dont les combinaisons pharmaceutiques représentent un risque potentiel d'effets indésirables et d'interactions médicamenteuses. Cela peut augmenter le risque d'effets iatrogènes, d'hospitalisation, et même de décès du patient.

Dans le même contexte, les variations physiologiques liées au vieillissement provoquent la modification significative de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamique des médicaments. Par conséquent, les personnes âgées sont plus sensibles aux effets thérapeutiques et indésirables des produits pharmaceutiques, qui, dans de nombreux cas, peuvent être plus dommageables que bénéfiques pour les patients.

L’organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2004) définit la polymédication comme « l'administration de nombreux médicaments de façon simultanée ou l'administration dun nombre excessif de médicaments ». L’OMS ne précise cependant pas un nombre précis de médicament. Ainsi dans la littérature, les seuils de 5 médicaments ou plus et de 10 médicaments ou plus sont les plus fréquemment utilisés pour définir la polymédication.

Prévalence et caractéristiques

La polymédication est particulièrement répandue chez les personnes âgées. Selon une étude (France), environ 46,7 % des patients âgés présentent une polymédication (5 à 9 médicaments), tandis que 25,2 % souffrent d'hyperpolymédication (10 médicaments ou plus). Une autre étude (Canada) a révélé que la prévalence de la polymédication chez les patients de plus de 75 ans varie entre 14 % et 49 %, selon les indicateurs utilisés pour mesurer cette condition. En 2022, Delara et collaborateurs dans une revue systématique de 54 études ont rapporté une prévalence globale de 37%.

Risques associés

Les principaux risques associés à la polymédication chez les personnes âgées incluent :

Effets indésirables : Les personnes âgées sont particulièrement vulnérables aux effets indésirables des médicaments, qui peuvent représenter entre 5 et 10 % des motifs d'hospitalisation après 65 ans, et plus de 20 % après 80 ans. Ces effets peuvent inclure des accidents cutanés, des troubles neuropsychiques, des anomalies de la coagulation, et des problèmes cardiovasculaires.

Interactions médicamenteuses : La polymédication augmente considérablement le risque d'interactions entre les médicaments, responsables de 15 à 20 % des effets indésirables. Ces interactions peuvent entraîner des complications graves et même augmenter la mortalité chez les patients âgés.

Inobservance thérapeutique : L'utilisation de plusieurs médicaments complique souvent le schéma posologique, ce qui peut mener à un non-respect du traitement. En rappel environ 30 à 60 % des effets indésirables sont prévisibles et pourraient être évités par une meilleure gestion de l'ordonnance.

Surdosage et erreurs de prise : La complexité accrue des traitements peut également entraîner des surdosages ou des erreurs dans la prise de médicaments, augmentant ainsi le risque d'accidents iatrogènes.

Coût économique : La polymédication entraîne un coût élevé tant pour le système de santé que pour les patients eux-mêmes, en raison des dépenses pharmaceutiques et des coûts liés aux hospitalisations dues à des effets indésirables.

Gestion et recommandations

Pour gérer efficacement la polymédication chez les personnes âgées, plusieurs meilleures pratiques retrouvées dans la littérature peuvent être mises en uvre :

Évaluation systématique

Évaluation interprofessionnelle : Effectuer une évaluation systématique de l'utilisation des médicaments par une équipe interdisciplinaire, incluant médecins, pharmaciens et autres professionnels de santé, pour identifier les traitements inappropriés ou redondants. La conjugaison des expertises est un moyen d’amélioration de l’utilisation rationnelle des médicaments. Elle participe à l’amélioration de la sécurité et de l’efficacité de la prise en charge.

Implication du patient

Participation active : Impliquer le patient et son entourage dans les décisions concernant sa médication. Cela permet non seulement de mieux comprendre leurs préférences, mais aussi d'améliorer l'adhésion au traitement. Les soins centrés sur le patient qui prennent en compte les croyances et la volonté des patients permettent une meilleure adhésion de ces derniers au traitement et une meilleure observance.

Révision régulière des prescriptions

Balance bénéfice-risque : Avant chaque renouvellement d'ordonnance, réévaluer la balance entre les bénéfices et les risques des traitements en cours. Cela inclut l'identification des médicaments potentiellement inappropriés. Que ce soit à la prescription ou à la dispensation une réévaluation des traitements peut avoir un impact positif sur la pharmacothérapie.

Outils et directives

Utilisation des outils disponibles : Appliquer des outils tels que les critères STOPP/START ainsi que les critères de Beers pour guider la prescription et la dé-prescription. Ces outils aident à identifier les médicaments qui devraient être évités chez les personnes âgées. Par ailleurs les échelles CIA et ACB permettent d’identifier les médicaments à fort potentiel anticholinergique qui sont à éviter chez la personne âgée. Tous ces outils peuvent être utilisés par le Médecin/Pharmacien lors de la Prescription/Dispensation.

Formation continue

Éducation des professionnels : Initier des formations sur la gestion de la polymédication à l’endroit des professionnels de santé (médecins, pharmaciens, infirmiers) et des acteurs de la société civile. Cela aide à sensibiliser les différents acteurs de la prise en charge aux enjeux spécifiques liés à la prescription chez les personnes âgées.

Technologie et outils d'aide à la prescription

Logiciels d'aide à la prescription : Utiliser des systèmes d’aide à la décision informatisés (prescription, dispensation…) qui alertent sur les interactions médicamenteuses potentielles et fournissent des recommandations basées sur les données de sécurité disponibles.

En résumé, la polymédication en gériatrie est un enjeu majeur qui nécessite une attention particulière pour garantir la sécurité et l'efficacité des traitements administrés aux personnes âgées. L’implication de tous les acteurs (professionnels de santé et patient) est un impératif pour garantir un recours aux médicaments en thérapeutique sûr et éfficace.

Par Dr W. Geoffroy DIBRI 


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